Expatriation au Canada : la délicate question de l’amitié
Depuis le mois de mars, pandémie oblige, nos soirées se suivent et se ressemblent un peu (beaucoup). Alors un soir, pendant que le repas chauffait et qu’on était confortablement installés dans notre canapé, on a voulu faire une petite FAQ sur notre compte Instagram. Ça faisait longtemps et on a toujours trouvé que c’était un bon moyen d’échanger avec vous. On était tout heureux de ce moment, curieux de voir ce que vous alliez nous demander. Jusqu’à ce que LA question arrive : « des conseils pour se faire des nouveaux amis à Montréal? ». J’avoue qu’on a pris un bon moment pour réfléchir. On s’est tout de suite dit « on n’est vraiment pas les mieux placés pour parler de ça… hahaha (rire jaune) » et puis finalement on a répondu avec honnêteté.
Un parcours difficile qui demande beaucoup d’énergie
Quand on prépare son expatriation, on a envie de tout bien faire, de tout bien organiser. On pense au logement, au travail, à la vie quotidienne. On prend le temps de penser aux premiers jours dans notre nouvelle ville. On dresse des listes pour être sûrs de ne rien oublier : billets d’avion, passeports, lettre d’introduction, pièces d’identité, etc. On regroupe tous les liens utiles afin d’être bien outillés et d’éviter les imprévus une fois sur place. C’est fou à quel point on peut penser aux moindres détails : quels vêtements emporter? Est-ce que je garde mon forfait de téléphone français? Qu’est-ce que je mangerai les premiers jours? Bus ou taxi une fois sorti de l’aéroport? Est-ce qu’il vaut mieux que j’achète mon manteau d’hiver avant de partir ou une fois sur place?
Alors forcément dans toutes ces réflexions de préparation arrive le moment où on se demande : que va devenir ma vie sociale? Si vous êtes chanceux, vous avez déjà des amis ou de la famille sur place. Votre cercle ne va donc pas trop se briser et votre vie sociale n’en prendra pas un coup. En revanche, si, comme nous, vous arrivez sans trop de repère, ça va clairement demander plus d’énergie et d’investissement. Dès nos premiers jours, on a pris du temps pour essayer de se créer un cercle social. On est allés aux rencontres « nouveaux arrivants » organisées par l’Union Française de Montréal. On a été actifs sur les médias sociaux pour essayer d’échanger avec d’autres personnes dans la même situation que nous. Le fait d’avoir le blog et d’être présents sur Instagram, Facebook et YouTube nous a permis de rencontrer quand même beaucoup de monde et de se sentir plutôt entourés les premiers temps.
Faire sa place pour développer ses amitiés
Alors oui, on voit déjà les commentaires : « ce n’est pas en restant entre français que vous allez développer de fortes amitiés! Ouvrez-vous un peu! Il faut sortir de votre cercle! Voyez des Québécois, y a que ça de vrai! ». Honnêtement, on était les premiers en arrivant à Montréal, à se dire qu’on voulait s’imprégner au maximum de la culture québécoise, qu’on ne voulait pas uniquement s’entourer de français et qu’on souhaitait au maximum rencontrer des gens de différents horizons.
Mais la vie est ainsi faite et il faut garder un point très important en tête : personne ne vous attend! C’est fou le nombre de nouveaux arrivants qui se heurtent à ce constat et qui en tirent beaucoup de frustration. Il faut croire qu’à force d’entendre à tout bout de champs que le Québec est un eldorado et que les Québécois sont chaleureux et accueillants, beaucoup pensent qu’ils arrivent en terrain conquis et qu’ils n’auront pas à faire beaucoup d’efforts. Mais être gentils, chaleureux, souriants et accueillants ne signifie pas une amitié gagnée. C’est là toute la nuance.
On est plus que d’accords pour dire que la majorité des Québécois ont le cœur sur la main et qu’ils savent tout de suite mettre à l’aise. Mais malgré toute la bonne volonté que vous y mettrez et malgré cette énorme gentillesse, créer de forts liens demande du temps. Nos meilleurs amis ne sont-ils pas ceux qu’on a rencontrés étant enfant ou lors de nos études? Ou bien ceux avec qui on a partagé des moments mémorables ou des expériences similaires? Un exemple simple : si vous déménagez dans une autre ville en France pour faire vos études, il est presque certain que les personnes avec qui vous développerez le plus rapidement des affinités sont celles que vous aurez côtoyer auparavant, qui viennent de la même ville que vous ou qui, comme vous, viennent tout juste d’arriver et cherchent à se créer un nouveau cercle d’amis. Les autres, les « locaux », ont déjà une vie, des amitiés construites au fil des années, un cercle social fort et une routine. À moins d’un coup de foudre amical (why not?), vous faire une place dans cette routine peut prendre un certain temps et de la détermination. Si c’est difficile pour un ado de faire sa place en tant que nouveau dans un collège, alors imaginez pour un adulte dans une nouvelle ville!
Et puis, sans tenir compte de nos relations de travail, des médias sociaux et des rencontres de l’Union française, on ne voit pas vraiment comment on aurait pu rencontrer de nouvelles personnes et lier des amitiés. Il est loin le temps où, quand on a 5 ans, on fait des rencontres dans le bac à sable, au coin d’un parc ou sur la balançoire.
Les amis, ça s’en va et ça revient…
Petite mise en situation : ça y est, ça fait 6 mois, voire un an, que vous êtes à Montréal. Vous avez pris le temps et mis l’énergie nécessaire à vous créer un petit cercle d’amis. Vous les voyez sur une base régulière. Vous rigolez bien. Vous avez créé vos petites habitudes. Bref, c’est l’idylle. Mais le temps se gâte et les discussions qu’on ne voudrait pas avoir arrivent sur la table : « Alors, vous vous sentez comment ici? Votre famille ne vous manque pas trop? Vous voulez partir ou vous pensez rester? ». Combien de fois on a entendu ces questions… Vous allez vite vous rendre compte que la proportion de personnes qui se voient rester au Québec sur du long terme est bien faible par rapport au nombre de personnes qui souhaitent rentrer en France au bout d’un moment. Les raisons sont variées : le manque de la famille, la frustration de ne pas avoir la vie rêvée, le manque d’opportunités professionnelles, l’incapacité à s’adapter, le climat… Toutes les raisons sont bonnes et on ne juge pas. Mais quand on fait partie de ceux qui ne se voient jamais partir, c’est difficile d’y faire face. Tout le temps partagé n’est certes pas perdu, les bons moments ne sont pas oubliés mais c’est certain qu’une fois le départ annoncé, ça fait toujours un gros pincement au cœur. La première fois, on l’accepte sans trop réfléchir, on se dit qu’en tant qu’amis, on ne peut que soutenir cette décision, on voit le bon côté et on ne souhaite que du bonheur pour tout le monde. La seconde fois, on y fait face et on se dit que c’est une coïncidence. Puis les mois défilent, et les annonces de départ aussi. Chaque annonce et chaque départ se fait un peu plus difficile. Créer de nouvelles relations aussi. Et ça, c’était bien avant le contexte de pandémie.
Des anciens parmi les nouveaux arrivants au Canada
Plus le temps passe et plus il est difficile de se créer des nouvelles relations. Les premiers mois, on a du temps libre et beaucoup d’énergie. On est motivé à bloc pour faire le tour des soirées entre expats, en plus ça permet de visiter la ville et de découvrir de nouveaux endroits! On répond présent à toutes les propositions de rencontres, cafés, bières sur les médias sociaux et on participe à tous les 5 à 7 du travail.
Mais voilà, encore une fois, le temps passe. Une bonne majorité des amitiés créées sont au placard soit pour cause de retour en France comme expliqué précédemment, soit par manque d’intérêts communs, soit par ghosting inattendu. Bref, parfois, on se surprend à penser que les relations amicales sont aussi compliquées que les relations amoureuses.
Et arrive alors un phénomène qui n’aide pas : on devient des « anciens » nouveaux arrivants. On ne se sent plus à notre place dans les soirées PVTistes. D’une part, parce qu’on n’est techniquement plus PVTistes et d’autre part, parce qu’on n’est plus vraiment à la recherche de conseils ou de partage d’expérience. Alors s’y déplacer « juste » pour partager notre vécu ou pour trouver des amis ne nous attire plus vraiment. C’est même parfois un peu dur de se prendre en pleine face l’excitation des nouveaux alors que de notre côté, on est devenu plus terre à terre avec une vie quotidienne assez bien rodée et tranquille. Sans parler de notre vie professionnelle assez remplie qui ne laisse plus trop de temps pour le vagabondage de 5 à 7 en 5 à 7. Et oui, il faut aussi garder un peu de temps pour soi, pour son couple, pour se poser et juste relaxer.
L’envie de se préserver et de laisser faire le temps
Finalement, on se lasse et on perd la motivation. Voir partir ceux qu’on apprécie, devoir s’investir sans cesse, recréer de nouvelles relations, constater que parfois ça ne clique pas, ne jamais savoir à quoi s’attendre, être déçus et avoir constamment la désagréable impression d’être dans des montagnes russes hasardeuses nous pousse à devoir prendre du recul et à vouloir se préserver.
On ne dit pas qu’on se replie totalement sur nous même, juste qu’on a envie de prendre une pause et d’accorder un peu moins d’importance à cette course à l’amitié. C’est un peu comme si on avait fait le point et qu’on avait revu nos priorités. Si ça doit arriver, ça arrivera et on a l’espoir que ça se fera naturellement et simplement, au fil de notre vie.
On a l’avantage de s’être installés à Montréal à deux et donc de ne pas avoir un besoin immense de sociabiliser. C’est aussi peut-être un désavantage et une des raisons qui fait qu’on est passé à côté de belles amitiés. Dans les soirées de rencontre, c’est plus facile d’aborder ou de se faire aborder quand on est seuls. Être le couple à inviter, ça complique aussi les choses et on se sent toujours un peu encombrant. Enfin, participer à des soirées chacun de notre côté en laissant l’autre à la maison, ça a toujours été quelque chose de difficile pour nous. C’est certainement très personnel, mais se dire qu’on vient d’arriver dans un nouveau pays et que l’un des deux part s’amuser pendant que l’autre reste seul à la maison, ça a quelque chose d’assez inconfortable pour nous. On a choisi de vivre cette expérience à deux alors on a toujours voulu se serrer les coudes et être la priorité l’un de l’autre. Mais encore une fois, ceci est vraiment notre propre façon de voir les choses.
En conclusion, on n’a pas vraiment de conseil pour se faire des amis à Montréal. Et on n’est vraiment pas les mieux placés pour en donner. De notre point de vue, établir de vraies relations amicales a toujours été l’expérience la plus difficile en tant qu’expatriés au Québec. Bien plus difficile que la recherche d’appartement, d’emploi ou même la compréhension du système de santé! Cela ne veut pas dire qu’on vit comme des ermites sans aucune vie sociale. Bien au contraire, on a de belles relations au travail, à travers les médias sociaux ou encore avec nos voisins mais pas de quoi les étiqueter comme des « amis ». On finira cet article en rappelant encore une fois que tout cela est très personnel et que chacun peut vivre une expérience différente. Les belles amitiés existent et peuvent arriver, il faut seulement être conscient que rien ne se fait tout seul et surtout, s’enlever toute la pression et le stress que cela peut engendrer.
Hello à tous les deux !
Merci pour cet article plein de franchise et d’honnêteté ! Je ne connais pas encore le statut d’expatriée (on espère l’année prochaine !), et pourtant je me reconnais totalement dans cet article : je trouve qu’autour de 30 ans, c’est bien plus difficile de se créer des amitiés fortes, vraies et durables.
Comme vous le dites, les gens sont installés, ont leur routine, leurs amis de longue date et ne cherchent pas forcément à rencontrer d’autres personnes. Pour ma part (et c’est pareil pour mon conjoint) je ressens vraiment ce sentiment un peu amer, même en France, même dans ma ville d’origine. C’est aussi pour ça que nous avons envie de vivre cette expérience d’expatriés : on se dit qu’on n’a rien à perdre, au pire c’est le désert amical comme ici ! Ahah, j’exagère un peu évidemment, mais l’idée générale est là.
J’ai tendance à croire aussi qu’en effet, le fait d’être deux peut bloquer : on est un socle ça fait peut-être « peur » en face, car il faut créer une amitié avec deux personnes au lieu d’une. Puis bizarrement, on dirait que dans la tête des gens, si tu es en couple, tu n’as pas vraiment besoin d’amis.
Bref, je vais arrêter là mon pavé, mais je crois que cette question de l’amitié, bien qu’elle me semble encore plus délicate quand est on expatriés, est bien réelle et il me semble qu’on devrait en parler plus souvent 🙂